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Partie 2 : la contestation des barèmes dits "Macron" devant les juridictions

Partie 2 : la contestation des barèmes dits "Macron" devant les juridictions

1/ Les contours du débat

 

Le barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de l’article L. 1235-3 du Code du travail est contesté dans de nombreux procès prud’homaux.

 

 

1.1/ Très rapide exposé des moyens de contestation du côté salarié

 

Du côté salarié, on met en avant que l’article L. 1235-3 du Code du travail serait contraire à la Charte Sociale Européenne et la Convention n° 158 de l’OIT.

 

D’une part, selon l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, en cas de licenciement « sans motif valable », le salarié a droit « à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. ». Selon le Comité européen des droits sociaux en charge de l’interprétation de la Charte, une « indemnité adéquate » et une « réparation appropriée » doivent renvoyer à des mécanismes qui prévoient notamment « des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime. »

 

D’autre part, selon l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT sur le licenciement, en cas de licenciement « injustifié », il convient également d’allouer au salarié concerné (à défaut de réintégration) « une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

 

Or, l’article L. 1235-3 du Code du travail qui prévoit des plafonds d’indemnisation en fonction uniquement de l’ancienneté du salarié ne permet pas, selon la thèse ici présentée, une indemnisation adéquate au sens de la convention 158 de l’OIT, ni une réparation suffisamment réparatrice et dissuasive contrairement aux exigences de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

 

Or, selon l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958: « Les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois […] ».

 

Par ailleurs, les juges internes (et notamment donc les juges prud’homaux) sont compétents pour contrôler la conformité des lois aux conventions internationales (contrôle dit de conventionnalité).

 

Par conséquent, dans l’hypothèse où un juge interne jugerait qu’un texte de droit français (en l’espèce l’article L. 1235-3 du Code du travail) serait contraire à une convention internationale applicable à la France (en l’espèce, la Charte Sociale Européenne et la Convention n°158 de l’OIT), il devrait ainsi écarter ledit texte de droit français au profit de ladite convention internationale. Les barèmes de l’article L. 1235-3 du Code du travail devraient donc être écartés.

 

 

1.2/ Très rapide exposé des moyens de contestation du côté employeur

 

Du côté employeur, on rejette l’argumentation susvisée, en mettant en avant que le Conseil d’Etat a rejeté le 7 décembre 2017 une argumentation en tous points identique à celle aujourd’hui invoquée devant les Conseils de prud’hommes, à savoir l’argumentation selon laquelle les plafonds dits « Macron » seraient contraire à la Charte Sociale Européenne et la Convention n°158 de l’OIT.

 

On met également en avant la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018, qui a validé ce dispositif dans le cadre du recours formé contre la loi de ratification de l’ordonnance ayant prévue ces plafonds.

 

En outre, on met en avant que le système des plafonds n'est pas applicable dans un certain nombre de cas. Ainsi, si le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité (pour violation d'une liberté fondamentale ; harcèlement moral ; harcèlement sexuel ; licenciement discriminatoire...), l'indemnisation à laquelle peut prétendre le salarié n'est plus plafonnée. Dans cette hypothèse, s'il ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le Conseil de prud'hommes doit en effet lui allouer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois et ce, sans qu'aucun plafond ne soit prévu (le montant de l'indemnisation sera, sous réserve des 6 mois minimum, définie en fonction du préjudice subi). 

 

Enfin, on met en avant que le juge prud'homal peut toujours allouer des dommages-intérêts distincts en réparation d’un préjudice autre que celui consistant en la perte injustifiée de l’emploi (ainsi par exemple des dommages-intérêts à la suite d'un licenciement brutal et/ou vexatoire). 

 

 

2/ Les décisions rendues

 

Si un certain nombre de décisions ont rejeté l’argumentation présentée du côté salarié, un certain nombre de décisions ont au contraire écarté les barèmes dits « Macron » sur le fondement de la Charte Sociale européenne et de la Convention n°158 de l’OIT.

 

Il en est ainsi par exemple des décisions suivantes :

 

- CPH Troyes, Activités diverses, 13 décembre 2018, n° 18/00036,

- CPH Lyon, Activités diverses, 21 décembre 2018,

- CPH Lyon, Commerce, 7 janvier 2019, n° 15/01398,

- CPH Angers, Activités diverses, 17 janvier 2019, n° 18/00046,

- CPH Grenoble, Industrie, 18 janvier 2019, n° 18/00989,

- CPH Lyon, Industrie, 22 janvier 2019, n° 18/00458,

- CPH Amiens, Industrie, 24 janvier 2019, n° 18/00093,

- CPH Paris, 1er mars 2019 n° 18/00964,

- CPH Bordeaux, 9 avril 2019 n° 18/00659,

- CPH Montpellier, 17 mai 2019 n° 18/00152.

 

Le Conseil de prud’hommes d’AGEN, en sa formation de départage (c'est-à-dire avec un juge professionnel qui préside la formation initiale de 2 conseillers employeurs et 2 conseillers salariés), a rendu une décision dans le même sens, le 5 février 2019.

 

 

3/ La position du Ministère de la Justice

 

A la suite de ces décisions, dans une circulaire du 26 février 2019, le ministère de la justice a demandé aux présidents des cours d’appel et des tribunaux de grande instance de l’informer des décisions rendues dans leur ressort « ayant écarté le moyen d’inconventionnalité des dispositions indemnitaires fixées à l’article L 1235-3 précité ainsi que les décisions ayant, au contraire, retenu cette inconventionnalité. ». Il leur a en outre demandé de lui communiquer les « décisions ayant fait l’objet d’un appel, afin de pouvoir intervenir en qualité de partie jointe pour faire connaître l’avis de parquet général sur cette question d’application de la loi en application de l’article 426 du Code de procédure civile ».

 

 

4/ Conclusion provisoire… à venir

 

Enfin, il convient de relever que le Conseil de prud’hommes de Louviers a saisi la Cour de cassation d’une demande d’avis sur la question de la compatibilité du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conventions internationales (CPH, Louviers 10 mai 2019, n° 17/00373).

 

Nous pourrions donc avoir bientôt un avis de la Haute Juridiction sur la question (avis qui pourrait être donné début  juillet 2019).

 

Par ailleurs, on attend également avec impatience les premières décisions des Cour d’appel sur la question.

 

Un premier arrêt de la Cour d’appel de Reims est attendu courant juin 2019 et un second arrêt de la Cour d’appel de Paris est attendu fin septembre prochain.

 

A suivre…

 

Jonathan KOCHEL

Avocat en droit du travail et contentieux commercial (juin 2019)

Publié le 03/06/2019

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