Un retard de paiement de salaire ne justifie pas forcément une prise d’acte
En termes courants (et donc non juridique), la prise d’acte pourrait être définie comme une sorte de « licenciement pour faute grave à l’envers ».
Cela signifie que le salarié va rompre son contrat de travail de manière unilatérale pour des fautes qu’il reproche à son employeur et qui empêchent la poursuite du contrat de travail.
Le salarié doit ensuite saisir un Conseil de prud’hommes qui va statuer sur le sort de la prise d’acte :
- Soit le Conseil de prud’hommes estime la prise d’acte légitime, eu égard à l’existence de fautes graves de l’employeur empêchant effectivement la poursuite du contrat de travail ; elle produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié aura donc droit à une indemnité de licenciement (s’il a au moins 8 mois d’ancienneté), une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité compensatrice de congés payés afférents au préavis et des dommages-intérêts en fonction des barèmes d’indemnisation de l’article L. 1235-3 du Code du travail.
- Soit le Conseil de prud’hommes estime que la prise d’acte n’est pas légitime ; elle produit alors les effets d’une démission. Le salarié n’aura donc droit à aucune indemnité de rupture, n’aura pas droit au chômage (du moins pour les 4 premiers mois) et pourra même, le cas échéant, être condamné à verser son préavis à son ancien employeur s’il ne l’a pas respecté (ce qui est, en pratique, courant lors d’une prise d’acte).
La décision de prendre acte de la rupture de son contrat de travail peut donc être lourde de conséquence. Il s’agit donc d’une décision qu’il convient de mûrement réfléchir et qui est soumise, en tout état de cause, à l’aléa intrinsèque de toute action en justice.
L’exemple en est donné avec l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 29 janvier 2020 (Cass. soc. 29-1-2020 n° 17-13.961 F-D).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un salarié, en affirmant que les juges du fond (Conseil de prud’hommes et/ou Cour d’appel) pouvaient décider que le retard dans le paiement de deux mensualités de salaire n’empêchait pas la poursuite de la relation de travail et qu’en conséquence, la prise d’acte dudit salarié devait produire les effets d’une démission.
Il ressort de cet arrêt de la Cour de cassation que l’appréciation de la gravité des faits relève du pouvoir souverain des juges du fond (Conseil de prud’hommes et/ou Cour d’appel), qui doivent apprécier concrètement les circonstances de l’espèce. La Haute Juridiction n’exerce sur cette appréciation concrète et souveraine qu’un contrôle restreint, qui se limite à l’erreur manifeste d’appréciation (Cass. soc. 19-12-2018 no 16-20.522).
En conséquence, ce qui est vrai dans une affaire, ne l’est pas forcément dans une autre, les juges devant apprécier concrètement l’ensemble des griefs de la cause. C’est ainsi par exemple que dans un arrêt du 30 mai 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé que les juges du fond avaient pu légitimement considérer que le manquement de l’employeur ayant, à plusieurs reprises sur une période de cinq mois, payé le salarié avec retard était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et qu’en conséquence la prise d’acte dudit salarié devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 30-5-2018 no 16-28.127 F-D).
Chaque affaire mérite donc une étude particulière et ne peut se réduire à reconduire une décision de justice antérieure…
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